Nous sommes faits d'orages
Avec Les mangeurs de nuits, Marie Charrel s'était fait remarquer par l'évidence de ses histoires multiples, savamment imbriquées, haletantes, et teintées d'un animisme magique audacieux qui densifiait encore l'intérêt du livre. Nous sommes faits d'orages est le digne héritier de ce roman d'aventure et de vie, dont il reprend la plupart des codes et les arrange mieux encore... En effet, dans ce nouveau roman, il n'y a pas de chapitre qui ne nous réserve ses surprises, ses pièges, en nous promenant à travers toute l'Europe des années 90 à nos jours, entre fuite, vengeance et culture clanique.
L'histoire à son départ est étrangement simple : une femme albanaise d'origine, habitant en Islande, hérite de sa mère une maison dans un vilalge reculé d'Albanie, et lui recommande de retrouver Elora. Nous suivons donc Sarah sur les traces de sa mère qui ne lui a jamais rien raconté de sa vie en Albanie, qu'elle a fui au début des années 90 pour venir (pourquoi ici ?) en Islande. Mais le nom d'Elora éveille la curiosité ou le silence méfiant des villageois.
Le récit incroyablement bien mené s'étire sur trois temps : les années 70 et la formation des jeunes villageois à Tirana pour devenir les élites communistes qui devront mettre en place les plans de développement ; les années 90 et la chute du rideau de fer, puis le temps présent, la quête de Sarah.
Mais dans ces régions reculées, c'est la justice ancestrale et les croyances magiques qui ont longtemps prévalues sur toute autre forme politique. Et Sarah devra composer avec cet écheveau complexe pour comprendre qui est qui, qui a fait quoi, s'il y a es traîtres, des assassins, des disparus, des menteurs, pour comprendre enfin l'histoire de sa famille.
De prime abord, on pourrait trouver complexe les "strates" qui composent le récit, complexe aussi de voyager dans le temps avec les personnages, tous particulièrement attachants. Mais le grand succès du livre est justement de resserrer ce nombre de personnages, et ainsi de nous les rendre facilement mémorisables, et surtout densifier la relation qu'ils entretiennent les uns avec les autres.
Chaque silence, chaque regard prend ainsi une densité particulière, fascinante autant que qu'inquiétante. Les histoires villageoises s'entrechoquent avec la grande histoire, dont on comprend que les revirements servent à chacun à s’affirmer ou disparaître. Car dans ce livre, s'il chacun rêve d'ailleurs, rêve de mieux, on ne sait jamais s'il le souhaite pour lui même, pour sa famille, son village, son pays. Et lorsque les catastrophes surviennent, elles rebattent les cartes et les équilibres dangereux qui maintiennent les êtres ensemble. Irrémédiablement pris dans le jeu de dupes de Nous sommes faits d'orage, vous irez de surprise en surprise jusqu'à la dernière page, jusqu'à la dernière révélation.
Du grand art !


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Marie CHARREL
Nous sommes faits d'orage
Éditions Les Léonides